Grande messe en Ut mineur – KV 427 (1783)

Mozart (1756 – 1791)

La famille Mozart : Wolfgang Amadeus au piano forte avec sa sœur Maria Anna (Nannerl), son père Leopold et un portrait d’Anna Maria, sa mère décédée – Nepomuk della Croce circa 1780

La famille Mozart : Wolfgang Amadeus au piano forte avec sa sœur Maria Anna (Nannerl), son père Leopold et un portrait d'Anna Maria, sa mère décédée - Nepomuk della Croce circa 1780

Wolfgang Amadeus Mozart

Inachevée - Monumentale - Atypique

  Mozart a 26 ans lorsqu’il commence à composer cette messe atypique dans son œuvre religieuse. Oui, atypique car elle est liée à une promesse familiale et non à une commande extérieure. Encore atypique car inachevée à l’instar du Requiem. Malgré cela, elle est monumentale et montre une synthèse d’un monde baroque aussi bien assimilé que récapitulé et du génie mozartien. Georg Nikolaus Nissen, le deuxième mari de Constance Mozart née Weber  et biographe du compositeur jugera que cette messe présente « le niveau émotionnel le plus élevé de la musique sacrée ».

Le contexte dans la vie de Mozart : chronologie préalable

  L’enfant virtuose qui a subjugué toutes les cours, le compositeur précoce qui a rencontré les plus grands compositeurs et musicologues va rentrer à 17 ans à Salzbourg, après avoir parcouru l’Europe, sous la férule de son père Léopold.

  1771 – le Prince-archevêque Colloredo, autocrate rigoriste de la Principauté archiépiscopale de Salzbourg a remplacé son prédécesseur, Siegmund Christoff Comte von Schrattenbach, amateur d’art et de musique baroque. Mozart est déjà employé par le prince-archevêque en tant que « maître de concert » à la cour, son père Léopold est aussi au service du Prince-archevêque. Contrairement au précédent employeur, Colloredo et l’Empereur Joseph II appliquent une Encyclique papale qui limite considérablement les créateurs : la musique liturgique doit respecter des règles : exit cuivres et timbales, la durée de la messe ne doit pas excéder trois quarts d’heure, etc…

  Mars 1773 – Salzbourg, Mozart a 17 ans il revient de Milan.

  23 septembre 1777 – Malgré le refus du prince, Mozart part à 21 ans avec sa mère Anna Maria pour l’Allemagne et Paris dans l’espoir d’un poste. Lors de l’étape à Mannheim il s’éprend d’une jeune et talentueuse cantatrice, Aloysia Weber, fait des projets de vie amoureuse et artistique fortement reprouvés par son père. Aloysia met fin à la romance quelques mois plus tard.

  3 juillet 1778 – Mort d’Anna Maria à Paris.

  Janvier 1781 Colloredo somme Mozart d’écourter son séjour à Munich pour le rejoindre à Vienne. Mozart y arrive le 16 mars 1781.

  9 mai 1781 – Entrevue orageuse, après une nouvelle injonction du Prince pour que Mozart rejoigne Salzbourg sans délai, rupture définitive et immédiate.  Mozart s’affranchit très soudainement de la double tutelle de son père et de son employeur. Il a 25 ans. Mozart trouve logement dans une pension viennoise, celle… de la famille Weber. Madame Weber pousse le jeune maître vers Constance, 16 ans, cadette d’Aloysia. Mozart s’éprend progressivement de Constance. Léopold désapprouve.

  4 août 1782 – Malgré son père, Wolfgang épouse Constance dans une chapelle de la cathédrale Saint-Etienne de Vienne.

Promesse familiale, nouvelle vie, composer librement

  La composition de la Messe en ut mineur est entreprise peu avant le mariage de Wolfgang, probablement en Mai 1782 et poursuivie plus tard. Elle est la seule qui date de cette époque. Dans une lettre à son père, datée du 4 janvier 1783, Mozart évoque une « obligation morale » dont la composition d’une messe serait la preuve : « A l’égard d’une obligation morale, rien n’est plus exact, et ce n’est pas sans dessein que j’ai utilisé ce mot. J’ai véritablement fait cette promesse au plus profond de mon cœur et véritablement j’espère la tenir. Quand je l’ai faite, ma femme était encore souffrante ; mais comme j’étais fermement résolu à l’épouser dès qu’elle serait guérie, je pouvais facilement le promettre. Le temps et les circonstances ont rendu notre voyage impossible (n’ayant pas reçu de congé officiel, il craignait d’être arrêté à son arrivée à Salzbourg avant d’avoir présenté Constance à sa famille) mais comme preuve de la réalité de mon vœu, j’ai la partition de la moitié d’une messe qui donne les meilleures espérances. » En 1783, après plusieurs reports, dus probablement à la naissance de leur premier né Raimund Leopold Mozart le 18 juin 1783 (il décèdera deux mois plus tard), le jeune couple se rend finalement à Salzbourg afin que Constance y soit présentée à Léopold et à la société de la ville natale de Wolfgang. Le manuscrit incomplet de la messe est dans leurs bagages.

 Pour la première fois, Mozart a commencé l’écriture d’une messe sans se trouver sous la pression que représente l’occupation d’un poste au service de l’Eglise et d’un protecteur.

L’œuvre

Inachevée, mais des indications originales de Mozart pour les parties manquantes

  En mai 1783, Mozart interrompt la composition de sa messe et la laissera inachevée. Seuls le Kyrie et le Gloria sont complets. Les mouvements qui manquent entièrement se limitent à la seconde partie du Credo ainsi qu’à la totalité de l’Agnus Dei. Le Credo ne comporte que deux premières sections complètes ; à partir de la mesure 11 seules les parties chorales et celles des premiers violons et de basse sont intégralement écrites. Les partitions autographes du Sanctus/Hosanna et du Benedictus ont disparu mais elles sont connues par des copies.

  Trois mois après leur arrivée à Salzbourg, l’œuvre y est jouée lors d’une messe solennelle célébrée en l’église abbatiale bénédictine de Saint-Pierre le 26 octobre1783. Les parties manquantes indispensables à la liturgie sont, vraisemblablement et comme souvent à l’époque, empruntées à des messes antérieures. L’œuvre semble n’avoir été jouée qu’une seule fois du vivant de Mozart. Nannerl, la sœur de Wolfgang, mentionne dans son journal qu’une répétition s’est tenue trois jours plus tôt dans les salles de musique du palais princier, que les interprètes en sont les musiciens de la cour – avec lesquels Mozart travaillait avant son congé – et que Constance y tient la partie de premier soprano. Nannerl écrit le jour même : «  le 23 (…) à la répétition de la messe de mon frère, au Kapellhaus, dans laquelle ma belle-sœur chante le solo.» et le 26, jour de la cérémonie : » Le 26 à Saint-Pierre à la messe, on a donné la messe de mon frère. Toute la musique de la cour y jouait. » Les airs de soprano délicats et émouvants du Christe eleison, le Laudamus aux vocalises périlleuses, léthéré et difficile Et incarnatus est semblent destinés à Constance. Cette dernière n’est pas une chanteuse professionnelle, mais elle a vécu dans un milieu musicien (son père était copiste, ses deux sœurs aînées font des carrières de cantatrice), Constance a un talent honorable, une voix agile et une solide technique.

Synthèse du baroque et du génie mozartien

  A son arrivée à Vienne, Mozart, libéré des contraintes stylistiques du Salzbourg de Colloredo, avait approfondi sa connaissance de l’écriture baroque. Là-bas, le baron Gottfried van Swieten, directeur de la bibliothèque impériale, met à sa disposition les partitions de Bach et de Haendel. Ce diplomate anime la Société des Associés, cercle musical où sont jouées, à Vienne tous les dimanches, des pièces des deux grands maîtres et dans lequel Mozart est très actif. Il s’enthousiasme pour le style contrapuntique et le langage fugué de J.-S. Bach. Il écrit alors moult fugues, achevées ou non.

  L’emploi fréquent de l’imitation (canon, fugues en particulier dans le début du Gloria, le Cum Sancto Spiritu, l’Hosanna et surtout le chef-d’œuvre de contrepoint poétique que constitue le Quoniam avec trois voix soulignant le caractère trinitaire du texte) donne une grande densité à cette messe. Mais comment ne pas être charmé par les mélodies italianisantes du Christe, du Laudamus Te qui dialogue avec le hautbois, du Benedictus et par-dessus tout de l’Et Incarnatus est. Les chœurs sont très présents, souvent impressionnants avec une masse chorale et l’emploi de quatre, cinq voix (dans le Gratias Agimus), jusqu’au double chœur à huit voix du Qui tollis. Pour la partie orchestrale Mozart convoque un effectif beaucoup plus important que dans ses précédentes œuvres sacrées, (neuf messes brèves, la première composée à douze ans, et six grand-messes) cette œuvre en Ut mineur est donc la seizième messe et sa dernière œuvre sacrée avant le Requiem. Elle surprend par la succession des tonalités, de fa majeur, la mineur, ré mineur, sol mineur et mi mineur dans une œuvre dont la tonalité de base est do mineur/do majeur, moyen par lequel le compositeur magnifie la tension dramatique. Elle s’inscrit dans la tradition baroque des messes-cantates où le chant se déploie pour magnifier la prière et favoriser la méditation.

La postérité de la Messe

  La musique en est à nouveau donnée en public car elle est partiellement intégrée dans une œuvre ultérieure : en 1785, accaparé par ses leçons et ses concerts, Mozart n’a pas le temps d’assurer la composition dans les délais requis de  l’œuvre que lui commande la Wiener Tonkünsstler Societät pour des concerts caritatifs du temps de carême. Le compositeur reprend la musique de huit parties de la messe en les appliquant à une traduction italienne du Premier Livre de Samuel de l’Ancien Testament. Il crée deux airs solistes et une coda originale pour constituer ainsi la cantate Davide penitente (KV 469).

  La première édition imprimée de la messe date de 1840, cinquante ans après la mort du compositeur, et la première exécution dont on a le témoignage a été conduite en la cathédrale Saint-Etienne de Vienne en 1847. Les lacunes et fragments manquants ont fait l’objet de maintes spéculations et de plusieurs reconstitutions indispensables à l’exécution de l’œuvre pour la liturgie. On compte jusqu’à douze tentatives de factures inégales en particulier depuis le début du XXème siècle, tant le sujet occupe la recherche musicologique. En 1989, Franz Beyer complète avec soin et d’une main experte les parties manquantes en s’aidant des indications originales laissées par Mozart. Notre partition (2016) mentionne une version « complétée et éditée par Frieder Bernius et Uwe Wolf. »

  Si elle avait été complétée dans les mêmes proportions que celle des mouvements achevés, cette messe, très probablement dictée par un mouvement spontané du cœur, durerait de l’ordre d’une heure et quart. Les spécialistes la comparent de façon répétée aux autres messes majeures du répertoire, la Messe en si mineur de Bach ou la Missa solemnis de Beethoven. Depuis deux siècles, la Grande messe en ut mineur, un des sommets de la musique du maître, fascine les érudits, les interprètes et les mélomanes par l’énigme de sa création, son état fragmentaire, sa monumentalité, mais avant tout par son intense beauté.

Rédigé par Françoise et Alain avec l’aide de sources variées.