La Missa Festiva

Alexandre GRETCHANINOV (1864-1956)

Portrait d’Alexandre Gretchaninov, Moscou 1910

Portrait Alexandre Gretchaninov

Le compositeur

Sa vie

Né le 13 octobre* 1864 à Moscou, Александр Тихонович Гречанинов, (Aleksandr Tikhonovich Grechaninov en translittération anglo-saxonne) commença ses études musicales assez tard car son père, homme d’affaires, attendait de lui qu’il reprenne l’entreprise familiale. Il raconta lui-même plus tard qu’il attendit l’âge de quatorze ans pour découvrir un piano pour la première fois. Laissons lui la parole :

« Dès le début, j’ai dû subir une lutte avec mon père qui ne voulait pas que je devienne musicien. Plus tard, au Conservatoire, certains de mes professeurs ont dit qu’il me manquait le talent. Même alors que ma carrière était bien avancée, je n’avais aucun soutien des grands musiciens qui étaient mes contemporains. Je dois avouer que la cause en était ma timidité insurmontable. J’ai toujours imaginé que ma compagnie était fastidieuse et sans intérêt-pour les autres, et ainsi j’évitais de voir les gens.»

Il étudie le piano et la composition en entrant au Conservatoire de Moscou à 17 ans avec Sergeï Taneïev et Anton Arenski comme professeurs. Entre 26 et 29 ans, il se perfectionne en composition et en orchestration auprès de Rimski-Korsakov au conservatoire de Saint-Pétersbourg. Celui-ci reconnait le talent musical de Gretchaninov, lui consacre du temps et l’aide financièrement, ses parents ne lui apportant plus aucun soutien.

Il se fait bientôt connaître par ses mélodies et par deux pièces datées de 1894 : un Quatuor à cordes en sol majeur et la première des cinq symphonies qu’il composera en 1895 sous la direction de son maître, il a alors 31 ans. L’influence de Rimski-Korsakov est très grande sur ses premières compositions et Gretchaninov restera un compositeur tourné vers la tradition musicale russe du XIXe siècle. Il écrira à ce sujet: « Une seule fois, dans ma Missa Oecumenica, je me suis permis d’introduire des éléments modernes dans ma musique sacrée. Les premiers modernistes prêtaient trop d’attention aux éléments concrets de la musique, oubliant qu’elle est l’expression de l’émotion humaine. Heureux le compositeur qui peut fidèlement communiquer son émotion intérieure à l’interprète et à l’auditeur! »

Il rentre à Moscou en 1896 et s’implique dans la vie musicale de la ville, composant pour le concert et la scène, mais aussi pour les liturgies orthodoxes. Son opéra Dobrynia Nikititch est créé au Bolchoï en 1903, avec la célèbre basse Fiodor Chaliapine dans le rôle-titre. Neuf ans plus tard, il compose d’après Maeterlinck, l’opéra Sœur Béatrice, qui est immédiatement retiré de l’affiche pour « insulte à la religion ».

Gretchaninov reçoit du tsar une pension pour ses pièces sacrées jusqu’à la révolution de 1917. Il vit encore en Russie pendant plusieurs années, mais la vie est difficile, pour preuve les sous-titres de l’auto-biographie qu’il écrit en 1952 :

« Combats dans les rues de Moscou — Notre maison est envahie par les soldats bolcheviques — Reprise des concerts — Séjour en sanatorium pour reprendre des forces — Mon appartement est cambriolé — Pénurie alimentaire dans l’hiver froid de à Moscou — Temps difficiles après la révolution bolchevique — Je suis arrêté quand j’entre dans le Consulat américain à Moscou pour récupérer l’argent laissé par M. Crane pour moi — je suis libéré après une brève détention — Nous quittons la Russie — je conduis un chœur russe à Prague — retour à Moscou — je quitte la Russie pour toujours ». Il choisit de s’exiler à Paris en 1925.

Le compositeur s’est essayé dans toutes les formes et dans tous les genres; il a notamment écrit de nombreuses pièces pour piano, des mélodies, des chœurs profanes et religieux, en particulier pour enfants qui tous manifestent un don mélodique certain.

Son œuvre sacrée, plus tardive, comporte un accompagnement instrumental, et ne peut donc pas être utilisée dans la liturgie orthodoxe russe. Sa Missa Festiva Op.154 (1937) inaugure un cycle de quatre messes . Il a alors 73 ans, Les trois autres sont :

La Missa Oecumenica (1939)
La Missa Sancti Spiritus (1940)
La Missa Et in terra pax (1942)

En 1939, il émigre aux États-Unis, où il s’est rendu à de nombreuses reprises depuis 1929, et obtient la nationalité américaine en 1946.
Agé de 91 ans, il s’éteint le 3 janvier 1956, à New York en laissant un livre de souvenirs, Ma vie musicale en Russie (en russe, Paris, 1934, rééd. Ma vie ; en anglais, My Life, Coleman-Ross. New York, 1952).

*(25 octobre nouveau style)

Sources : Encyclopedia Universalis et My Life, Coleman-Ross. New York, 1952 du compositeur

L’oeuvre

La naissance de la Missa Festiva

En 1937, un concours fut annoncé à Paris pour une messe catholique et cinq motets pour chœur mixte à quatre voix avec orgue. Je décide de participer à ce concours ouvert — chaque compositeur soumet son œuvre sous son propre nom. En tant que membre de l’Église orthodoxe grecque, j’avais peu d’espoir de gagner en étant concurrent de compositeurs catholiques et je ne composai d’abord qu’un motet que j’envoyai à l’abbé Henri Delepin, directeur de l’éditeur parrainant le concours, et lui demandai très franchement si c’était vraiment la peine que je participe au concours.

Au lieu d’une réponse écrite, l’abbé Delepin vint me voir personnellement. Il exprima son enthousiasme pour la qualité de mon motet, et m’a alors poussé à écrire les quatre motets restants. Je lui envoyai les motets, avec une demande supplémentaire pour savoir si je devrais tenter la composition d’une messe.

« Bien sûr, » répondit-il avec insistance. Alors j’ai aussi écrit une messe. L’abbé Delepin revint me voir, grand admirateur de ma musique, il m’a pratiquement assuré que je remporterai tous les prix pour les motets et pour la messe.

« En êtes-vous absolument sûr ? « Ai-je demandé incrédule. « Tellement sûr que je peux même vous avancer de l’argent, si vous voulez « répondit-il.

Son offre était opportune, j’allais à un concert dans les pays baltes avec Madame Makushina, et avais besoin d’argent pour le voyage. Quand je suis arrivé à Stockholm, j’ai reçu la notification officielle que mes motets et ma messe avaient été primés pour un total de dix mille francs. C’était remarquable, car je rivalisait avec trente-huit compositeurs, français et belges, tous catholiques. Le fait qu’un membre du groupe grec de l’Église orthodoxe ait reçu tous les prix n’était pas flatteur pour leur sentiment national. Le jury annonça un compromis : des prix supplémentaires d’un total de cinq mille francs seraient répartis entre quatre compositeurs catholiques.

Après mon retour de cette tournée baltique, j’ai dirigé la messe primée que j’ai nommée Missa Festiva, dans une église catholique de Paris. La saison suivante, je la dirigeai de nouveau à Notre Dame de Paris, avec un chœur de deux cents voix. Le cardinal Verdier officiait. La grande cathédrale était bondée.

Le succès de ma Missa Festiva m’a encouragé à composer une autre messe dans le grand style. J’ai terminé ce nouveau travail en au printemps 1939. Il a été écrit sur un texte latin, pour quatre voix solistes, chœur, orgue et orchestre complet. Je l’ai nommé Missa Oecumenica, c’est-à-dire la Messe Universelle, parce que j’utilisais des chants orthodoxes, grégoriens et hébreux, en respectant cependant strictement le texte de la liturgie catholique.

Alexandre Gretchaninoff – New-York, 1952