Petite Messe Solennelle

Gioachino Rossini (1792-1868)

ROSSINI : « le Cygne de Pesaro »

Quarante opéras en 19 ans

Portrait Gioachino RossiniDoté d’un talent musical précoce : une facilité exceptionnelle doublée d’une rapidité vertigineuse qui convenait à sa technique d’improvisateur, Gioachino Rossini naît un 29 février en 1792 dans une famille de mélomanes à Pesaro au bord de l’Adriatique dans les Marches de l’Italie centrale ; son père est un excellent corniste et sa mère une soprane à la carrière courte mais belle. Il apprend la musique en lisant notamment les partitions de Mozart et d’Haydn, fait ses études au prestigieux  Liceo Musicale de Bologne, alors qu’il possède déjà un très bon niveau en cor et en chant, il sait jouer du violon. Il y apprend le violoncelle, le piano, l’alto, le contrepoint et acquiert une grande maîtrise de l’instrumentation, de l’orchestration et de la structuration harmonique en travaillant comme répétiteur au théâtre. Premiers d’une impressionnante série de quarante, trois de ses opéras sont composés avant son vingtième anniversaire, La Cambiale di Matrimonio sera représenté en 1812 pour ses vingt ans.

Dès lors, d’Italie en Autriche, d’Angleterre en France, il honorera toutes les commandes des directeurs de théâtres et trouvera de fervents admirateurs en Musset, Heine, Chateaubriand et Stendhal. C’était un bon vivant qui n’a pas dédaigné laisser aussi son nom à un… tournedos, il enchantait son entourage par sa cordialité, la malice de ses bons mots, les familles princières et royales se disputaient sa compagnie. Il épouse, en 1822 la soprano Isabella Colbran à laquelle il confiait les premiers rôles à Naples.

Après un décevant passage par Londres ; il réussit un séjour à Paris (il y reviendra à la fin de sa vie) où il est adoubé par Charles X comme co-Directeur de l’Opéra italien, Inspecteur Général du Chant et Intendant Général de la Musique Royale. Après la création de Guillaume Tell en 1829, il décide à 37 ans d’arrêter de composer pour la scène.

Puis 39 ans sans opéras

En 1836, il réside à Bologne, puis à Florence en 1848. En 1841, il compose le Stabat Mater puis, en 1863 la Petite messe solennelle, qui soulignent par leur clarté et leur profondeur d’écriture le talent du compositeur. Cette dernière œuvre fait partie de ce qu’il appelait ses « péchés de vieillesse », quelques deux cents pièces diverses composées pour son cercle d’intimes.

 

  Entre-temps, une séparation avec Isabella est intervenue et Rossini épouse en 1845 la française Olympe Pélisssier qui l’avait affectueusement soigné lors d’une grande décennie de graves crises nerveuses et physiques. Il revient s’établir à Paris en 1855, réside dans le passage Jouffroy (qui plus tard abritera le musée Grévin) lequel est surnommé « la boîte aux artistes » du fait des nombreux peintres, sculpteurs et musiciens qui y habitent. Les soirées organisées dans son logis de la Chaussée d’Antin accueillaient la nouvelle génération de compositeurs (Saint-Saëns est l’un d’eux) et d’interprètes français. On y donne les « péchés de vieillesse », c’est le seul endroit au monde où l’on peut écouter les dernières compositions du Maître (par exemple: Le Train de plaisir, qui se moque de l’invention du chemin de fer ou la Petite valse de l’huile de ricin qui stigmatise l’hypocondrie de ses contemporains). Après n’avoir pas voulu prendre part, la maladie aidant, aux sirènes déferlantes du romantisme, il se montre alors à l’avant-garde des jeunes générations françaises de 1870.

 

  Il s’éteint en 1868 à 76 printemps alors qu’il habite Passy, est inhumé à Paris, puis sa dépouille est rapatriée avec tous les honneurs à Florence où il repose auprès de Raphaël et de Michel-Ange.

Une petite messe déjà grande

« Petite messe solennelle à quatre parties avec accompagnement de 2 Pianos et Harmonium Composée pour ma villégiature de Passy*.

Douze chanteurs de trois sexes: Hommes, Femmes et castrats seront suffisants pour son exécution, savoir Huit pour les choeurs, quatre pour les solos, Total douze chérubins. Bon Dieu pardonne-moi le rapprochement suivant ; Douze sont aussi les apôtres dans le célèbre coup de màchoire peint à fresque par Leonard dit La Cène, qui le croirait ! Il y a parmi tes disciples de ceux qui prennent de fausses notes !! Seigneur, rassures-Toi, j’affirme qu’il n’y aura pas de Judas a mon Déjeuné et que Les miens chanteront juste et con amore Tes louanges et cette petite Composition qui est Hélas le dernier Peché mortel de ma Vieillesse. »

G.Rossini, Passy 1863

Une Première dans l'intimité

Cette Petite messe solennelle est créée chez le comte Michel-Frédéric et la comtesse Louise Pillet-Will, le 16 mars 1864 à l’occasion de la consécration de la chapelle privée du couple. Cette première a lieu auprès d’un cercle réduit. On y trouve Meyerbeer, Auber et Thomas : la crème des musiciens français du moment, des ambassadeurs, des chanteurs et des politiques. Le « vieux rococo», tel qu’il se qualifie par autodérision, ne boude pas l’hommage qui lui est rendu, il donne les tempi et tourne les pages de la partition du premier piano. Selon l’usage de l’époque, un buffet est servi entre le Gloria et le Credo. Une seconde version orchestrale pour soprano, alto, ténor, basse, chœur et orchestre voit le jour en 1867, Rossini craignait que quelqu’un ne le fit à sa place après sa mort. Cette version sera jouée quelques mois après sa disparition, le 28 février 1869 au Théâtre-Italien avec le plus grand succès. Le compositeur préférait cependant la version originale.

Petite et Solennelle

Elle est l’œuvre de maturité d’un compositeur de 71 ans qui pour la première fois depuis le Stabat Mater, antérieur de plus de vingt ans, va établir un dialogue avec Dieu. C’est bien le sens de la note privée à l’intention du Créateur lui-même qui est citée et reprise en cartouche dans le commentaire de Rossini qui accompagne le titre.

Petite – L’effectif et réduit, petit en fait, il est symboliquement rapporté aux douze apôtres, l’accompagnement musical est minimaliste, bien loin des orchestres accompagnant les opéras de Rossini quelques décennies auparavant. Qui d’autre pouvait imaginer une messe accompagnée de deux pianos et un harmonium? Rossini s’amuse, mais donne de la profondeur, fait référence au passé mais il est aussi dans l’expérimentation.

Solennelle – Elle peut être qualifiée ainsi car elle contient un Offertoire et un O Salutaris en plus des cinq parties habituelles de l’ordinaire, en outre elle adopte des rythmes de marche assez opératiques notamment dans le Domine Deus et un ton recueilli et confiant. L’écriture de cette messe est extrêmement élaborée et rassemble tous les éléments du style rossinien, la fugue de l’Et Resurrexit est magistralement écrite, on est impressionné par la richesse de la double fugue du Cum Sancto Spiritu et par l’écriture contrapuntique élaborée qui concluent, comme le veut la tradition, le Gloria et le Credo, ce dernier est pertinemment affecté du tempo Allegro Cristiano. Par ailleurs, le compositeur ranime la simplicité naïve d’une prière d’enfant dans le trio du Gratias, il dépose aux pieds du Seigneur l’œuvre d’une vie entière et c’est l’occasion de demander malicieusement qu’on lui garde une petite place au Paradis.

« Bon Dieu – La voilà terminée cette pauvre petite Messe. Est-ce bien de la musique Sacrée que je viens de faire ou bien de la Sacrée musique? J’étais né pour l’Opera Buffa, Tu le sais bien! Peu de Science, un peu de Coeur, tout est la. Soit donc Beni, et accorde moi le Paradis.»

G.Rossini, Passy 1863*

* Dans les deux citations, l’orthographe et la ponctuation de Rossini ont été respectées et reproduites conformément au manuscrit.

Gioachino-Antonio Rossini a profondément marqué l’histoire de l’opéra du XIXe siècle en menant à son apogée l’opéra-bouffe qu’il pare d’airs énergiques et brillants dotés d’un naturel nouveau. Il développe et innove l’écriture orchestrale en préparant ainsi l’éclosion du romantisme.

Rossini en six œuvres:

  • 1813 : L’italienne à Alger, opéra-comique; créé à Venise.
  • Février 1816 : Le Barbier de Séville, opéra-bouffe d’après la comédie éponyme de Beaumarchais; créé à Paris.
  • Décembre 1816 : Otello, « opera seria »; créé à Naples.
  • 1817 : La Cenerentola, opéra (« dramma giocoso »); créé à Rome.
  • 1829 : Guillaume Tell, opéra : créé à Paris.
  • 1864 : Petite messe solennelle, créée à Paris.