Gloria

Francis Poulenc (1899-1963)

Portrait de Francis Poulenc, vers 1923

Francis Poulenc

Un grand musicien à la personnalité multiple

Une jeunesse dorée et formatrice

Dès l’âge de 5 ans Jenny place le jeune Francis au piano et lui fait travailler Mozart, Schubert et Chopin ; son oncle cultive sa sensibilité musicale en l’emmenant régulièrement à l’Opéra Comique. Le jeune Francis découvre Petrouchka et Le Sacre du Printemps de Stravinsky. C’est une révélation pour lui, il portera toute sa vie une admiration immense au maître russe. La position sociale de sa famille facilite les contacts, pendant ses études générales imposées par son père. Il rencontre le catalan Ricardo Viñes, pianiste virtuose qui lui enseigne la musique de son temps, celle de Debussy, Stravinsky et Satie ; il l’initie à Falla, Cocteau, Marcelle Meyer, Albéniz et Satie. Le jeune Poulenc fait aussi la connaissance de Darius Milhaud. Il rencontrera Aragon, Breton, Eluard et Apollinaire, Jean Cocteau, Radiguet, Max Jacob. Plus tard, il mettra en musique les poèmes de ces écrivains.

Alors qu’il a 16 ans le jeune homme perd sa mère, puis son père l’année suivante ; sa sœur Jeanne le recueille.

Nouvelles rencontres et premières œuvres

Kati moko, mosi bolou – Ratakou sira, polama !

ne sont ni insultes, ni vieilles incantations, mais les paroles du premier succès de Poulenc, la Rhapsodie Nègre. Pour cette œuvre, Poulenc a ironiquement choisi Honoloulou, le poème d’un soi-disant écrivain africain répondant au nom peu commun de Makoko Kangourou.
La partition est très applaudie au Théâtre du Vieux-Colombier, où l’œuvre est créée en 1917. Parmi les spectateurs Maurice Ravel et Igor Stavinsky. A tout juste 18 ans, Poulenc fait désormais partie des Nouveaux jeunes musiciens en vogue.

Le Groupe des Six est formé d’Auric, Durey, Honegger, Milhaud, Poulenc et Tailleferre en 1920. Poulenc a 21 ans. Durant quatre ans, Charles Koechlin parfait ses connaissances en piano, lui apprend la technique du contrepoint et de l’écriture chorale.

Il rencontre Henri Sauget, collabore avec Darius Milhaud et Marya Freund en Europe Centrale, fait la connaissance de Berg, Schoenberg et Webern à Vienne. Marie Laurencin réalise les décors et costumes du ballet demandé par Serge Diaghilev : Les Biches (1923). Ce ballet érotique est créé à Monte-Carlo pour les Ballets Russes. Il sera suivi des Chansons Gaillardes en 1926 sur des textes anonymes du XVIIe siècle, interprétées par le baryton Pierre Bernac, lequel restera le chanteur masculin attitré de Poulenc jusqu’à la fin de leurs carrières respectives.

Au dieu d’Amour une pucelle
Offrit un jour une chandelle,
Pour en obtenir un amant.
Le dieu sourit de sa demande
Et lui dit : Belle, en attendant
Servez-vous toujours de l’offrande.

(L’offrande, extrait des Chansons Gaillardes.)

La révélation mystique

Le Francis « libertin » va bientôt composer avec un double plus sérieux et, surtout, très croyant. En effet, lors d’un pèlerinage qu’il effectue à Rocamadour en 1936, le sanctuaire de la Vierge Noire lui cause un choc religieux immense, une révélation spirituelle qui influencera durablement sa musique. Poulenc retrouve la foi catholique inculquée par son père. En sept jours, il achève la composition des Litanies à la Vierge Noire, pour chœur de femmes et orgue, qu’il qualifiera d’« œuvre-miracle ». « Sûrement une des deux ou trois œuvres de moi que j’emporterais avec moi au jeu de l’île déserte », écrira-t-il quelques jours plus tard à Nadia Boulanger. Elle sera exécutée le 17 novembre à Londres par la même Nadia Boulanger, lors d’un concert de la BBC. Dès lors, de nouveaux sujets s’ajoutent à sa liste d’inspirations : la religion, d’une part, mais aussi l’angoisse, la mélancolie et, plus tardivement, la mort.

Dans son jeune âge il a régulièrement fréquenté la « maison de campagne » de ses grands-parents maternel à Nogent-sur-Marne, Adolescent puis jeune homme, Francis se plaît à y séjourner pendant l’été et apprécie tout particulièrement l’atmosphère des guinguettes et bals musettes des bords de Marne avec ses amis qui le surnomment familièrement Poupoule. Ces joyeux souvenirs de jeunesse se retrouvent à travers plusieurs de ses œuvres, notamment ses mélodies (dans le choix des poèmes qu’il met en musique comme dans leur esthétique musicale). « Je range Cocardes [c’est l’un de ses premiers recueils] dans mes “œuvres Nogent” avec odeur de frites, d’accordéon, de parfum Piver. En un mot : tout ce que j’ai aimé à cet âge et que j’aime encore » (Poulenc, dans son Journal de mes mélodies)

De la vie parisienne à la lumière de la Loire

Puis il acquiert, en 1927, « Le Grand Coteau ». Cette maison secondaire située entre Amboise et Vouvray, à mi-chemin entre maison de maître et maison de vigneron, est entourée de vignes et de terrasses aménagées en jardins à la française. Elle lui permet de fuir les distractions parisiennes et de s’atteler à la composition dans le calme. Mais la capitale lui colle à la peau… « Lorsque je reste des semaines à travailler loin de Paris, c’est vraiment avec un cœur d’amoureux que je retrouve ma ville », écrit-il ainsi dans son Journal de mes mélodies (1993). A Paris, Poulenc fréquente les expositions de ses nombreux amis, les concerts, les soirées mondaines ou les défilés de Coco Chanel et Christian Dior.

En 1929 il reçoit la commande d’Aubade, pour piano et dix-huit instruments, du vicomte Charles et de la vicomtesse Marie-Laure de Noailles, puis du Bal Masqué en1932. Cette même année, la princesse Edmond de Polignac lui commande le Concerto pour deux pianos, créé à la Scala de Milan et interprété par les solistes Jacques Février et Francis Poulenc lui-même. On y retrouve des influences de Ravel, Mozart (assurément le concerto K 537) et du jazz. Pierre de Ronsard l’inspire en 1934 avec cinq poèmes pour soprano. Deux ans plus tard, Poulenc s’installe rive gauche au 5, rue de Médicis en face du Luxembourg.

Premiers écrits religieux et résistance à l'occupant

Suivent de nombreuses compositions sur des poèmes de Paul Eluard et d’Edward James en 1937, de Louise de Vilmorin en 1938. Cette même année il crée ses premières œuvres religieuses a cappella : la Messe en sol majeur et Priez pour Paix. En 1942, Serge Lifar chorégraphie le ballet Les Animaux Modèles à l’Opéra de Paris fréquenté par les officiers de l’occupant. Ce que Lifar et ces officiers ne savent pas, c’est que Poulenc fait partie du Front national des musiciens, une organisation proche de la Résistance… qui encourage (entre autres) la représentation d’œuvres interdites ou l’incorporation discrète d’airs patriotiques pendant les concerts. Face à un parterre d’officiers nazis, il fait jouer quelques notes de Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine. Un air de revanche et de patriotisme que (fort heureusement) nul ne reconnaît alors… Puis à nouveau des poèmes d’Aragon, d’Eluard et de Louise de Vilmorin.

Grand succès de créations originales

Comme tous les enfants, les jeunes cousins et neveux de Poulenc sont fascinés par l’Histoire de Babar, et quand leur oncle Francis séjourne avec eux à Brive-la-Gaillarde, ils le pressent de raconter, en musique, les aventures de l’éléphanteau. Francis Poulenc s’installe donc au piano, et improvise quelques accords ou mélodies pour chaque péripétie vécue par le courageux Babar : la mort de sa maman, la fuite hors de la forêt, l’arrivée en ville… Après la création de l’Histoire de Babar en 1946, plutôt satisfait du résultat, il publiera la partition en 1949. Cette œuvre pour piano est aujourd’hui considérée comme l’une de ses plus abouties.

1948 voit la création des Mamelles de Tirésias d’après un « drame surréaliste » de Guillaume Apollinaire, que le duo Bernac-Poulenc fait tourner aux USA (New York, Chicago, Los Angeles, San Francisco) et au Canada.
En 1950 c’est la création du Concerto pour piano à Boston sous la baguette de Charles Munch. Puis en 1956, Le Travail du Peintre, un cycle de mélodies sur des poèmes d’Eluard, mettant en musique et paroles le cubisme de Picasso, le fauvisme de Matisse, les styles de Chagall, Klee, Braque, Juan Gris, Miro et Jacques Villon.

Avant une tournée en Egypte et en Europe, l’édition milanaise Ricordi lui commande Les Dialogues des Carmélites auditionné pour la première fois quatre ans plus tard à la Scala en 1957. L’Opéra Garnier donnera les Dialogues en novembre et l’œuvre connaîtra un immense succès.

Poulenc et moi

La salle était silencieuse, la scène était vide et seul un piano à queue noir brillait, ouvert, en attente, offrant au public l’espérance…
Soudain, un homme se glissa silencieusement des coulisses sur la scène. Il était de haute taille, vêtu de gris, ses cheveux soigneusement lissés vers l’arrière. Ses mains étaient grandes et gros son nez. J’avais dix ans, c’était Francis Poulenc.

Françoise Kahn

Un maître des mots

Francis Poulenc fait partie des grands maîtres français de la prosodie, des compositeurs qui ont su parfaitement accorder leur musique aux mots. Plus encore qu’une qualité, il s’agit pour lui d’une quête. Il veut être « le musicien des poètes », discute longuement avec les écrivains et les chanteurs pour approcher la plus grande mise en valeur des textes. « Je surveille chaque note, fais attention aux bonnes voyelles sur les sons aigus […] je crois qu’on comprendra tout ». Poulenc n’est d’ailleurs pas tendre avec ceux qui ne lui semblent pas respecter ses intentions : « Horrible journée !!! Une dame vient de miauler, un quart d’heure durant, à la radio des mélodies qui pourraient être de moi ! […]. On massacre souvent mes pièces de piano mais jamais tant que mes mélodies » (F. Poulenc, Journal de mes mélodies, le 3 nov. 1939)

Le Gloria

La création

Avant la composition du Gloria en sol majeur pour soprano solo, chœur mixte à quatre parties et orchestre, Poulenc crée La Voix humaine, tragédie-lyrique à l’Opéra Comique sur un texte de Cocteau de 1930. Cocteau lui-même signe la mise en scène.

Le Gloria est l’avant-dernière œuvre chorale de Poulenc qu’il a composée pendant la seconde moitié de 1959. Ce grand motet sera joué le 20 janvier à Boston, pour soprano solo, et orchestre. Alors que Charles Munch dirigeait cette création américaine, c’est Georges Prêtre qui dirige en France l’ONF et les chœurs de la RTF le 14 février. L’œuvre est empreinte d’une bonhomie simple, mais aussi de moments d’une extase somptueuse et enveloppante ponctués de coups de dissonance parfaitement calculés. Elle parvient à être tout à la fois opératique et pieuse, frivole et contrite, lyrique et ombrageuse, mais toujours magnifique. Malgré un relatif classicisme pour l’époque, sa création créa quelques remous. Poulenc s’en estimait très satisfait, peut-être pour avoir réussi à exprimer un sentiment religieux tour à tour grave et gai. A ce propos, le compositeur lui-même déclara : « J’ai pensé, simplement, en l’écrivant à ces fresques de Benozzo Gozzoli où les anges tirent la langue, et aussi à ces graves bénédictins que j’ai vus un jour jouer au football. »

Dernières compositions

Sept Répons pour les ténèbres apparait en 1962 ainsi que la composition des deux Sonate pour clarinette et piano et Sonate pour hautbois et piano dont les créations seront posthumes.

Le 30 janvier 1963 une crise cardiaque emporte le compositeur en son domicile parisien du 5, rue de Médicis. A sa demande, ses funérailles ont lieu dans la plus grande simplicité, avec la seule musique de Bach pour l’accompagner. Francis Poulenc est enterré au Père Lachaise, aux côtés de sa famille.

Poulenc avait avant tout « un sens inné de la mélodie comme tonalité, comme courbe, dans ses proportions et son phrasé. » Dictionnaire des grands musiciens – Larousse 1985. Aussi inspiré par l’éléphant Babar que par les poèmes d’Apollinaire, Francis Poulenc n’a suivi qu’une seule règle, la sienne, celle du compositeur des Biches, de La Voix humaine et des Dialogues des Carmélites.